Antre de la Caste de la Luxure

Dame Milanya ouvrit les yeux. Elle avait dormi. Chose étonnante car en Géhenne il n’y avait ni nuit ni jour. La même atmosphère régnait pendant l’éternité. Du moins, avait-elle toujours le Pré d’Asphodèle ainsi. Elle se redressa sur son séant pour faire fasse à la fenêtre en pierre. Ou plutôt assimilée comme telle. Disons une ouverture dans un mur épais.

Elle habitait un sorte de maison en pierre de lave, la même dans laquelle elle avait été élevée, et dans laquelle elle recevait ses confrères.

Construite à la hâte à la fin de la guerre, pour pouvoir réunir une petite quantité de démons importants. Cette construction rudimentaire, n’avait jamais été améliorée ni agrandie de peur qu’elle soit trop visible en cas de nouvelle attaque des armées des Cieux.

La seule chose que Milanya appréciait était la localisation de sa demeure, sur les bords du fleuve. Les eaux boueuses défilées face à ses fenêtres. En arrière plan se dessinaient les collines arides de la Géhenne. Il paraissait que le Pré d’Asphodèle avait un jour mérité le nom de pré. Il devait donc y avoir verdure et eau propre. Plus maintenant. Le carnage des Anges avait réduit la vie ici-bas quasi impossible, ou du moins relativement difficile.

Milanya laissa défilé dans sa tête toutes ses idées, puis les classa une à une. Son plan était presque parfait. Il lui manquait un élément. Indispensable. Toutes ses pensées tendaient vers l’Unique. Puis dérivèrent vers son Unique. Son Ange. Qui lui avait encore rendu visite cette nuit en songe...

Son songe....

C’était décidé. Elle voulait son palais. Et elle le voulait au bord du Styx.

Se levant d’un bond, elle se rafraîchit un peu le visage, se recoiffa, avant d’appeler une de ses demoiselles de chambre.

« Oui ma Dame.

- Allez me chercher Damoiselle Asphodelle, je vous prie. Et envoyez-moi Lynia pour m’habiller.

- Bien Dame Milanya. »

En tout, Milanya n’avait que quatre domestiques ou assimilés comme tels veillant à sa sécurité et à son bien être. En plus d’Asphodelle, rempart contre le monde, plus efficace qu’une armée de cent hommes.

La hiérarchie étant bannie chez les Démons, Dame Milanya veillait à respecter chacune des personnes à son service, chose que ne faisait pas tous les maîtres de Caste. Elle ouvrit une armoire taillé dans un matériau propre à la Géhenne, et en sorti un de ses toilettes. Verte émeraude. Elle avait aussi, du bleu saphir, du rouge rubis, et sa préférée du blanc lys. Son armoire était ensuite garnie de tout un tas de toilettes différentes et passe partout ou au contraire très voyantes dont une était d’un violet améthyste. Elle ne la mettait jamais, aucune envie de ressembler à cette chère Ylania. La Caste de l’Orgueil produisait vraiment de passables individus.

Elle chassa bien vite cette idée de sa tête. Elle ne devait faire aucune discrimination. L’un des premiers principes inculqués par sa mère. Aucune discrimination. Tout le contraire de ce qu’était les Anges et leur sainte hiérarchie.

Etrange la façon dont sa génération, et les générations précédentes avaient été conditionnées pour haïr ces entités ailées. Etrange la manière dont elle aimait éperdument son Ange. Vraiment très étrange ces situations improbables.

Elle rejeta un coup d’œil à sa penderie. Comment s’habillerait-elle un fois là-bas ?

Milanya n’eut plus le temps de penser, elle fut interrompue par la porte qui s’ouvrit après un frappement sur sa demoiselle de chambre et sa confidente.

Dame Milanya se retourna pour se retrouver face à sa confidente, dans une posture plutôt curieuse et dans un accoutrement franchement hilarant.

- Madame quel plaisir de vous voir céans !
-Ce sont des hommages Damoiselle que je ne puis vous rendre, cependant relevez-vous, je vais appeler ma femme de chambre, qu’elle vous enlève au moins ce corset. Magnifique pas ailleurs.

Milanya se dirigea vers sa sonnette d’où elle appela Lynia, une de ces demoiselles. Celle-ci arriva en courant, et faillit éclater de rire devant le spectacle navrant qu’offrait la confidente de sa maîtresse.
Qu’elle aida néanmoins à relever, et lui enleva ce charmant corset, érigé sur sa tête.
Pendant ce temps, Milanya se regardait dans le miroir en réfléchissant. Etait-ce bien prudent d’emmener sa damoiselle avec elle. Non qu’elle douta de sa loyauté, mais elle avait peur que ce personnage haut en couleurs ne lui facilite la tâche de s’introduire dans la deuxième salle du palais des Doges. Néanmoins elle ne pouvait s’en passer : elle seule savait maitriser les poisons à la perfection et sa damoiselle lui serait certainement utile, vu que ce n’était pas sa première incursion dans Assiah.

- Lynia ? Veuillez disposer je vous prie.

Une fois que la porte fut refermée elle s’approcha de sa confidente.

- Damoiselle j’ai à vous entretenir d’un projet qui me tient à cœur. Vous me connaissez depuis si longtemps qu’il est simple que de deviner lequel. Cependant... J’aurai besoin de vous et de votre avis sur plusieurs sujets. Le premier est la construction d’un palais. Le premier véritable point de rendez vous de notre caste depuis des siècles, et pour son emplacement je le pensais en hauteur sur une colline en bordure d’un de nos fleuves. J’aurai besoin de vous pour organiser des recherches afin d’avoir un plan précis de mon palais. Je voudrai qu’il soit à la fois élégant et à la fois défensif. N’oublions pas qu’à ce point découvert, s’il n’est pas protéger peu de démons viendraient à s’y réfugier. Je voudrais que vous fassiez ces recherches vite, car nous devons partir. Je projette une excursion sur Assiah. Et je pense avoir besoin de vous. Il faut que je m’introduise au palais des Doges et je voudrais connaitre le moyen le plus simple et le plus efficace pour le faire, sans attirer l’attention de toute la population démone et angélique de la ville... Ce serait pour le moins compromettant. En échange je suppose qu’une visite chez l’un de vos amis qui vend ce genre de corsets vous plaira. Que dites-vous de mes projets damoiselle ?

Tout vexé par l'attitude de sa reine, il se laissa relever en bougonnant et en gémissant, une moue boudeuse sur le visage. Moue qui aurait pu avoir l'air adorable. Oui mais pas chez quelqu'un qui est maquillé comme une voiture volée. Enfin, un cheval, évitons les anachronismes. Et ce fut encore pire lorsque Lynia voulut enlever le corset. Il hésita un instant à faire un caprice en se roulant par terre et en trépignant avec ses petits poings, mais primo ça n'avait jamais marqué, deuzio il n'y avait aucune raison pour que ça fonctionne maintenant et zozio le contexte ne s'y prêtait pas vraiment. Mais quelle tragédie. Il regarda le corset rouge quitter son crâne avec une petite larme au coin de l'oeil. Orage, aux déesses poires.
Pendant ce temps, le miroir réfléchissait Milanya réfléchissant et Asphodelle décida d'utiliser ce moment de répit à bon escient. D'un claquement de doigt, il prit son apparence habituelle : de longs cheveux rouges érigés en une curieuse coiffure et un justaucorps vert. Le détail du jour consistait en deux grelots à la pointe de ses bottes qui faisaient gling-gling quand il marchait. Très in. Il regarda Lynia partir et singea un moment sa démarche toute timide en tortillant exagérément des hanches et en agitant les bras, eût-il vécu à une autre époque qu'on l'aurait cru danseur de tecktonique mais les télétubbies n'existant pas encore ils n'avaient pas pu lancer cette curieuse mode.
Il s'aperçut alors que Milanya s'était retournée vers lui et se figea dans une posture ridicule : un pied replié à la façon des flamants roses, les bras à l'égyptienne et les lèvres tendues en avant comme pour un baiser. Il écarquilla les yeux, puis se rendit compte de l'instabilité de sa posture... avant de s'écrouler encore lamentablement. Il se releva immédiatement en massant son fessier douloureux.
Milanya commença à l'entretenir. Un projet ? Il mit en marche les rouages de son cerveau, opération longue et difficile, à tel point qu'il crut entendre son encéphale grincer. Ah, oui ! Libérer l'ange, ce Rosiel qu'il ne connaissait que par les mots de sa Dame. Ah, s'il était aussi délicieux qu'elle le disait, il devait absolument passer dans une épicerie acheter la meilleure crème fouettée, c'était son fantasme et pour un ange de ce rang il fallait le meilleur. Il espérait qu'il ne serait pas trop farouche, ce n'est jamais drôle une personne farouche : Asphodelle n'était pas un grand amateur de chasse.
Après cette légère digression, il écouta attentivement (ou presque) sa maîtresse, la tête penchée sur le côté. Puis un sourire naquit sur ses lèvres et il répondit :

"J'en pense ma Dame que vous êtes le plus grand génie jamais porté par la Géhenne et que votre grandeur n'a d'égale que votre intelligence, vous êtes si redoutable que je m'estime honoré d'être à vos côtés, moi misérable vermisseau qui ai eu la chance d'entrer à votre service, Dieu m'en soit témoin je suis dans le bonheur le plus extrême à la simple idée de vous assister de nouveau dans l'un de vos projets, ô ma grande Dame vous mériteriez que l'univers entier se prosterne devant vous, vous êtes diaboliquement génialissime et fantastiquissime et peu importe si ce superlatif n'existe pas c'est moi qui l'ai inventé il ne peut qu'être parfait !"

Il prit son souffle (même les démons ont parfois besoin de respirer) et continua :

"Vous introduire au palais des Doges ? Ce sera très facile ne vous inquiétez pas, il me suffira de prendre l'apparence du doge et de vous présenter comme étant une connaissance quelconque. Si nous croisons le doge je l'endormirai et le planquerai dans un placard, et le tour sera joué. Pour votre palais c'est une excellente idée, j'ai déjà des plans en tête, je suis un architecte génial vous savez, mais nous devrions demander son avis à Sire Asmodeus avant toute opération, parce que sinon il risque de se fâcher tout rouge, remarquez il serait assorti à ses cheveux, ce serait une bonne chose ! Y allons-nous ma dame ?"

Sans attendre la réponse, il se dirigea vers la Géhenne et le Démon supérieur...

[HRP : j'te suggère de faire la réponse dans le topic d'Asmo]